A Charenton, le quartier des carrières et plus généralement, toute la partie qui borde l’autoroute A4 sont connus pour représenter une urbanisation quelque peu intensive, symbole de l’architecture massive des 30 glorieuses. En effet, sur cette partie sud de la ville dans laquelle les appartements à vendre sont parmi les moins chers, les seules constructions anciennes sont les ensembles HLM Bobillot et quelques immeubles fin XIX° siècle, situés en bas de la rue Victor Hugo et vers le pont de Charenton.
A la décharge des aménageurs, il faut préciser que si l’activité du port de Charenton qui se trouvait là était
encore florissante entre les deux guerres mondiales, elle a vite périclité ensuite. L’habitat urbain s’est dégradé et à la sortie du second conflit mondial, le quartier des carrières était constitué d’immeubles vétustes dans
lesquels s’entassait la population la moins aisée de Charenton. Ces bâtiments étaient tellement en mauvais état que leur sauvegarde était impossible, seul un nombre infime a été conservé et il a fallu reconstruire de plus grands immeubles qui ont servi, dans un premier temps, à reloger la population locale.


Les maisons vétustes de la rue des carrières lors de leur démolition vers 1968/70.

Photo très intéressante qui nous montre la transition entre le XIX° et le XX° siècle. Nous sommes sur le bas de la rue Victor Hugo en 1968 : les nouveaux immeubles sont tous juste sortis de terre et les anciens n’ont plus que quelques mois à vivre avant d’être rasés.
Certes, 50 ans plus tard, on peut critiquer ces constructions massives mais dans les années 70, il fallait reloger rapidement… Aujourd’hui, le quartier des carrières concentre la plupart des HLM de Charenton dont un grand nombre a été rénové entre 2000 et 2020 mais on trouve également plusieurs immeubles en copropriété
où il est possible d’acquérir des appartements à vendre à des prix beaucoup plus bas qu’au centre-ville tout en étant situé à 5 minutes à pied du métro et de la mairie.

Nous allons nous intéresser dans cet article plus précisément à l’ancienne rue des carrières qui se trouve surlignée en rouge sur la photo ci-dessus prise en 1925 ! Aujourd’hui, les Charentonnais connaissent bien le quai des carrières mais autrefois, il existait également une rue éponyme. Pour situer ces rues, il faut savoir que l’actuel quai des carrières a pris la place de l’ancienne rue des carrières (tracé rouge du plan) et que l’ancien quai des carrières se trouve désormais à l’emplacement de l’autoroute A4.
La transformation de ce quartier de Charenton a duré quasiment 25 ans puisqu’elle a débuté par le comblement de l’ancien canal de Saint-Maurice aux alentours de 1955 pour se terminer vers 1980 avec la construction des derniers bâtiments modernes. La période la plus intensive de démolition et reconstruction s’est déroulée entre 1968 et 1976.


Le bas de la rue Victor Hugo. Tous les bâtiments présents sur cette carte postale ont disparu sauf celui que l’on aperçoit tout au fond sous la flèche “métro”, il s’agit de l’immeuble du Crédit Lyonnais.
Cette photo nous montre l’habitat typique de ce quartier début XX° siècle : des petits immeubles modestes faits de bric et de broc et habités principalement par des ouvriers exerçant dans les métiers du vin ou liés aux activités du port.


Les prémices de la future autoroute A4 vers 1960 et 1970. Cette route a d’abord porté le nom de Nationale 4 et disposait même d’arrêts de bus ! A gauche, on voit le pont de Charenton et à droite, au premier plan, l’ancienne passerelle menant à Alfortville et au second plan le pont du chemin de fer.

Voici donc l’histoire de cette rue et du quartier des carrières en photos, toutes extraites du fonds de documentation de l’IGN (photos aériennes disponibles sur le site).
A noter que :
– Certaines photos sont moins précises que d’autres et les angles de prises de vues peuvent varier. De fait, ceux qui ont bien connu le quartier reconnaitront plus facilement les lieux que ceux qui le découvriraient au détour de cet article.
– Les dates mentionnées sont déduites de ces clichés et peuvent être inexactes, le principal étant de reconstituer l’ordre des transformations dans le temps.
– Ce quartier me tient à cœur et je peux me vanter de très bien le connaître puisqu’il s’agit du lieu de mon enfance, ayant habité 20 ans au 16 rue Victor Hugo.

1950 : Le canal est encore présent, on distingue nettement la rue et le quai bien séparés par les constructions.

1955 : Le canal a été comblé, le quai des carrières a été élargi et la nouvelle route (future autoroute) construite sur le remblai vient se connecter au bas de la rue Victor Hugo. Aucune maison n’a encore été démolie.

1960 : Des arbres ont été plantés le long de la nationale, on commence à démolir des anciennes usines dans l’îlot (nouveaux immeubles villa St Pierre mais notre rue des carrières n’a pas encore subi le pic des démolisseurs.

1968 : De nombreuses parties du quartier sont désormais détruites, notamment rue Victor Hugo et une grande partie de la rue des carrières a disparu (entre les rues Victor Hugo et des bordeaux). Les immeubles de la rue Robert Schumann et le 14 rue Victor Hugo sont construits. Les premiers habitants expropriés de la rue des carrières ont du être relogés dans ces constructions neuves.

1969 : Il ne reste que quelques immeubles de la rue des carrières. L’urbanisation s’intensifie dans le quartier (tour du 3 rue Victor Hugo construite) mais le groupe de maisons anciennes situé à l’angle de la rue des bordeaux est encore là (emplacement futur des tours Rabelais et Sully).

1972 : En couleurs ! Les maisons de la rue des carrières ont totalement disparues mais son tracé est aisément reconnaissable, l’angle rue des bordeaux a été dégagé, la villa Bergerac est construite ainsi que le garage Renault. On voit l’ancienne gare de marchandises à l’emplacement des futurs immeubles de La Sablière (SNCF) 16-18 rue Victor Hugo.

1974 : La rue des carrières n’est plus qu’un souvenir. A sa place, se trouve le nouveau quai des carrières. L’autoroute a été agrandi en largeur, la partie fraichement goudronnée a absorbé l’ancienne Nationale 4. On remarque donc que l’ouverture de l’A4 s’est faite en 2 temps. Les grands immeubles Sully et Rabelais sont sortis de terre.

1976 : Les immeubles de La Sablière sont terminés, le quartier nouveau est achevé ! Il reste encore l’emplacement d’une ancienne usine derrière le Monoprix qui sera aménagé en 1979-1980 (les terrasses de Charenton).

Aujourd’hui, il reste 3 immeubles qui ont miraculeusement survécu à cette grande opération d’urbanisme. Ils sont matérialisés en blanc sur cette vue actuelle et se trouvent dans la partie du quai des carrières où débouche la sortie d’autoroute, entre la rue de l’embarcadère (qui s’est autrefois appelée rue de la gare car on accédait au train par là) et la rue Victor Hugo. Et aux lecteurs assidus qui ont poursuivi jusqu’ici, je vais confier un secret : ce petit bout de rue avec ces 3 immeubles anciens constitue le seul morceau de la rue des carrières encore présent de nos jours !